Saturday, August 4, 2012

Sept milliards d’humains - Partir pour vivre autrement

Nous sommes désormais sept milliards sur la Terre. Partout les humains se ressemblent, ils apportent leur petite pierre au monde et composent le chant de notre humanité.

Notre collaboratrice Monique Durand propose cet été une série de rencontres survenues au cours de ses voyages, ici et ailleurs. Aujourd’hui, Mariette, de Saint-Éphrem-de-Beauce et Yaoundé.

La cour de récréation est remplie de jeunes filles qui font de la gymnastique, éclaboussées de soleil, toutes vêtues d’un uniforme impeccable. Soeur Mariette Biron m’accueille au collège Notre-Dame des Victoires, au coeur de Yaoundé. L’établissement accueille 500 filles qui viennent y apprendre les « métiers féminins » : couture, puériculture, cuisine, entretien. Les classes sont au rez-de-chaussée, tandis que la résidence de Mariette et de ses consoeurs religieuses occupe le second étage, avec chambres, réfectoire, chapelle, séjour et une immense véranda d’où l’on embrasse une partie de l’horizon camerounais. Soeur Mariette Biron, chef des ressources matérielles du collège, est originaire de Saint-Éphrem-de-Beauce. Elle vit au Cameroun depuis 45 ans.


Des milliers à partir

Dans les années 1950, 1960, et encore dans la décennie 1970, elles furent des milliers comme elle à partir pour évangéliser les brousses de la terre. Souvent armées de leur seule foi, de quelques années d’école et d’une envie folle d’autre chose qu’une vie programmée d’avance. C’était au temps de l’Église triomphante. Le dimanche, les nefs du Québec débordaient de fidèles reprenant les cantiques en choeur, dans les odeurs d’encens et le froissement des soutanes.
Elles avaient eu « l’appel », cette chose mystérieuse qu’encore aujourd’hui elles ont du mal à définir. Un jour, entraînées par leur songe, elles étaient entrées au couvent avec leur baluchon sur l’épaule, quittant famille, amis et gourmandises de la vie. Quittant le monde pour aller à sa découverte, en somme. Elles avaient opté pour des congrégations de religieuses missionnaires. Oui, elles voulaient partir en mission lointaine. Leur destination ? L’inconnu le plus pur et, parfois, le plus redoutable. Leur mission ? Elle était double. D’abord évangélique : porter la parole de Dieu. Ensuite caritative : aider leurs prochains des contrées du bout de la terre qui vivaient encore, leur avait-on dit, comme à l’âge de pierre.
Souvent sans préparation aucune, elles arrivaient dans la touffeur des missions auxquelles elles étaient assignées, comme chues d’une autre planète, stupéfaites, sonnées.
C’est ainsi qu’en 1967, Mariette arrive au Cameroun comme novice chez les Servantes du Saint-Coeur de Marie. Elle ignore que cette année de l’Expo marquera un tournant dans l’histoire du Québec. Et qu’elle quitte une société qui ne sera plus jamais la même et qu’elle retrouvera ébranlée sur son socle et profondément transformée. La jeune femme est presque immédiatement envoyée dans le fin fond de la brousse, où elle passera dix ans. « J’ai été élevée moi-même à la campagne. Alors, je m’y retrouvais un peu. » Là, dans la forêt tropicale, au milieu des serpents et des mouches tsé-tsé, elle travaille au pic et à la pelle pour creuser des canaux d’irrigation et des puits d’eau. Elle fabrique son ciment, défriche, bêche, use du système D de toutes les manières imaginables. En plus d’accomplir la principale tâche qui lui a été assignée : enseigner aux femmes les soins aux enfants, l’entretien ménager et les principes d’une alimentation équilibrée. « Elles mangeaient toujours la même chose ! Je leur ai montré qu’elles pouvaient varier les repas et servir toutes sortes de légumes et de fruits qui poussent sur leurs terres. » Ces années-là furent pour elle un pic d’existence et d’exaltation. « J’ai adoré ça. »

Quand on y réfléchit, ces jeunes Québécoises voulaient devenir missionnaires un peu pour les mêmes raisons que leurs protégées africaines voulaient s’instruire : pour vivre autrement que ne l’avaient fait leurs mères et leurs grands-mères. Ces « coopérantes internationales » avant la lettre s’appropriaient leur vie et se dessinaient, chacune, un destin hors de l’ordinaire, tandis que leurs élèves africaines tentaient de s’affranchir du sort de dépendance et de misère qui, autrement, les guettait.
Là-bas, ces missionnaires menèrent des vies souvent palpitantes. Elles trouvèrent un sens à leur existence et la reconnaissance de nuées de femmes et d’hommes. Là-bas, elles devinrent des héroïnes.
Ce sont ces mêmes héroïnes qui ont parfois peuplé nos enfances de couventines en venant nous entretenir, robe blanche et sandales aux pieds, de leurs voyages au long cours, après qu’on leur eut chanté « Dominique, nique, nique, s’en allait tout simplement… ». Elles représentèrent pour certaines d’entre nous les premiers récits de l’étranger, de l’étrangeté, d’un autre possible. Ces femmes venues de l’infiniment lointain, nous semblait-il, parlaient de pays effarouchants et mystérieux qui faisaient rêver.


Une des dernières

Mariette raconte que sa congrégation comptait 36 religieuses québécoises et quelques recrues camerounaises en 1967. « Cette proportion s’est complètement renversée », dit-elle. Aujourd’hui, elles ne sont plus que six Québécoises, au milieu d’une trentaine de soeurs camerounaises. « Ici, au Cameroun, la relève existe. Mais au Québec, presque plus. » Lui arrive-t-il de penser qu’elle est l’une des dernières de son espèce ? « La vie est trop courte pour qu’on désespère », répond-elle simplement.
Il y a quelques mois, elle a dû subir une opération chirurgicale au genou à l’hôpital Enfant-Jésus de Québec. Huit longs mois de convalescence en sol québécois. « Il était temps que je revienne au Cameroun », soupire-t-elle. Son travail au collège, les élèves, ses consoeurs, la poussière rouge des chemins et le joyeux chaos de Yaoundé lui manquaient. Et les soirs incendiés sur la véranda de la résidence des soeurs. Elle avait le mal de son pays adoptif. « Je peux à nouveau monter sur des escabeaux, vous savez ! »
Elle sait que sonnera bientôt l’heure de la retraite. Elle sera rapatriée définitivement au Québec, sans trop savoir comment survivra la petite communauté des Servantes du Saint-Coeur de Marie dans ce pays africain où elle aura donné le meilleur de sa jeunesse vive et de sa maturité. Sans trop d’espoir non plus d’être reconnue par une société québécoise qui est passée à autre chose depuis longtemps.
Mais elle n’en est pas là pour le moment. Mariette Biron passera bientôt son 45e Noël au Cameroun. Décembre, c’est l’époque de l’année où, le soir, les habitants de Yaoundé, armés de longs filets, vont à la chasse aux sauterelles autour des lampadaires des rues électrifiées. Frits, ces volatiles composent un plat très prisé là-bas. « C’est absolument délicieux », dit Mariette. À Saint-Éphrem, ce sera la dinde. À Yaoundé, les sauterelles.


Source :  http://www.ledevoir.com

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