Saturday, August 4, 2012

Madagascar : les répercussions quotidiennes de la crise politique

  • "Aucune promesse n'a été tenue", par Rakotoarinia R.
Aucune promesse n'a été tenue, si ce n'est un changement radical de régime. Radical de manière négative, car des dizaines de milliers d'emplois ont été perdus, une grande partie de la classe moyenne s'étant profondément appauvrie.
Une armée sujette à de nombreuses mutineries (2009, 2010, 2011, et tout récemment, la mutinerie "auto-orchestrée" de juillet 2012). Auparavant "bon élève de la banque mondiale et du FMI", et bénéficiant de nombreuses aides au développement, Madagascar est devenue en trois ans, l'un des [trois] pays les plus pauvres du monde. Le journalisme est devenu une activité à risque, lorsqu'il est question de critiquer les promesses non tenues du régime en place (délestage de matériel audiovisuel). Il y a encore beaucoup de choses à dire, car ce régime anticonstitutionnel qui dure depuis près de quatre ans a causé le plus grand nombre de mécontents chez les Malgaches.
  • Une chute de tous les indicateurs, par Andrianirina, doctorant en science politique à Antananarivo
Andry Rajoelina avait manipulé trois thèmes populistes pour justifier son coup d'Etat : la lutte pour la démocratie, le combat pour la bonne gouvernance et la revendication d'une liberté d'entreprendre. Au premier trimestre 2009, ces promesses avaient séduit une frange de la population. Mais trois ans et demi après, les chiffres et les faits attestent de la désillusion, du moins pour ceux qui avaient eu la naïveté de croire en ces promesses. Depuis 2009, Madagascar a chuté dans tous les indicateurs relatifs au développement et à la démocratie. Les journaux font régulièrement état de cas de banditisme impliquant des membres des forces de l'ordre, de tentatives d'extorsion de fonds ou de l'explosion du trafic de bois précieux.
La corruption et l'insécurité sont en croissance exponentielle, l'indiscipline prend racine dans l'armée et l'incivisme dans la population. Depuis le début de la crise, 900 000 enfants sont déscolarisés (PDF) (Unicef), 336 000 emplois directs ont été perdus (BIT), et 56 % de la population vit sous le seuil de pauvreté extrême (Banque mondiale). Derrière ces chiffres impersonnels, ce sont des difficultés quotidiennes pour de plus en plus de Malgaches, qui ont de plus en plus de mal à payer leurs loyers, rembourser leurs prêts bancaires, se soigner correctement, manger plus d'une fois par jour ou envoyer leurs enfants à l'école. Un documentaire aligne des témoignages recueillis dans tout le pays.
  • Inflation dans tous les secteurs, par Tsikoto
Franchement, ma vie se détériore, car l'inflation se fait sentir dans tous les secteurs, à savoir le prix des produits de première nécessité (PPN). De plus, le prix du carburant qui va encore augmenter ce mois-ci aura une lourde conséquence sur la vie des Malgaches. Au sein de la société où je travaille, on m'annonce la restriction budgétaire, car l'entreprise est en difficulté et les salariés qui ne respectent pas les consignes seraient au chômage. (...)
  • Un appauvrissement massif, par Stéphane A.
Je suis né à Madagascar et comme beaucoup, je l'ai quitté après l'une des nombreuses crises. Installé à La Réunion, j'y effectue plusieurs séjours par an, tout en gardant du recul. La première constatation est un appauvrissement massif depuis trois ans. Les rues sont envahies de marchands ambulants, des familles entières, qui travaillaient auparavant dans les usines textiles fermées avec la crise. La mendicité est redevenue omniprésente. Les bâtiments publics, routes et transports collectifs tombent dans un état pitoyable. La corruption est partout, alors qu'elle s'était raréfiée avant le coup d'Etat. A la douane, lors des contrôles routiers, lors des demandes de documents administratifs, à l'hôpital... C'est redevenu la normalité.
L'insécurité est permanente. Les récits de cambriolage par des groupes lourdement armés sont quotidiens et la nuit, les maisons sont totalement barricadées. Sous Ravalomanana, la situation n'était pas extraordinaire et il est devenu un prédateur économique lors de son deuxième mandat. Cependant, à tout prendre, la situation des Malgaches était la meilleure en cinquante ans d'indépendance : jamais autant de routes n'ont été réhabilitées, de centre de santé, construits, d'enfants, scolarisés. Des guichets fonciers ont été installés dans chaque village pour sécuriser les terres et les récoltes des paysans. L'armée a été affectée à des travaux de développement et de lutte anti-acridienne... Finalement, un paradis relatif, quand on connaît l'enfer actuel.
  • Une société à la dérive, par Hery Frédéric R.
Depuis 2009, je vis entre Madagascar et la France, où je réside habituellement. Cependant, je passe, pour des raisons professionnelles, plusieurs jours par mois à Madagascar. Mon premier constat est qu'au cours de ces trois années, la corruption a connu un bond phénoménal. Les organismes de lutte contre la corruption – Bianco (Bureau indépendant anticorruption), Samifin et le parquet – ont cessé de faire peur. Pis, certaines personnes, sanctionnées sous l'ancien régime, ont été récupérées, après avoir fait allégeance au nouveau, ce qui supprime tout effet dissuasif de la peine. Les services administratifs ont également vu s'évanouir leurs fonds de fonctionnement. Aussi, l'usager qui veut voir son dossier avancer est-il obligé de mettre beaucoup "d'huile" dans les rouages. Beaucoup plus qu'auparavant.
Mon deuxième constat est la fragilisation à grande vitesse des liens sociaux. De nombreuses entreprises ont fermé. Il ne se passe pas un mois sans qu'on entende que tel ou tel proche a perdu son emploi. Solidarité familiale oblige, les siens ne sont pas laissés à leur triste sort. Mais cette solidarité est en train de franchir ses limites économiques. [...]
  • Une crise qui participe à la fuite des cerveaux, par LAM, 28 ans
Je suis un jeune Malgache arrivé en France il y a dix ans. Diplôme en poche de bac + 6 à l'Essec (Ecole de commerce à Paris), j'ai décidé en 2008 de retourner à Madagascar pour participer au développement de mon pays. Malheureusement, après la crise, les perspectives d'embauche dans des sociétés sont tombées à l'eau avec les grands projets qui étaient dans les cartons. Depuis, les investissements se sont taris, les investisseurs fuient cette instabilité chronique.
C'est triste, mais il n'y a pas eu de changement, au contraire même, les choses se sont aggravées avec cette corruption qui s'est installée au cœur de "l'Etat" – s'il existe encore – tout comme le pire des affairismes (trafic de bois, d'armes, etc.). Aujourd'hui, mes amis qui voulaient entreprendre sont écœurés. Beaucoup ne veulent plus rentrer. Au-delà même de l'instabilité politique, on ne reconnaît plus le pays, ses valeurs ancestrales de respect sont piétinées. Alors quand on me parle de fuite des cerveaux, je baisse la tête avec fatalité, mais au fond de moi j'enrage, car j'ai envie d'un vrai changement, pas celui par la force et les armes...
  • Une presse malmenée, par Mark A.
Depuis l'arrivée de l'ancien maire de la capitale (un ex-DJ), le pouvoir de la presse est devenu lamentable. En effet, les journalistes malgaches sont soit des fonctionnaires, soit issus des journaux d'un groupe appartenant à un patronat proche du régime. Donc leur analyse sont biaisées parce qu'il "faut plaire à celui qui nous donne notre pain quotidien". Des militaires osent violer des stations privés pour "intimider" les journalistes.
  • La situation des étudiants, par Antsa R.
Pour tout dire, la vie ne cesse de se détériorer à vue d'œil. A titre personnel, je ne suis pas touché de plein fouet, même si la crise a touché tous les Malgaches, notamment ceux qui travaillent. Bien sûr, la situation pourrait être pire, mais l'on oublie que cela est surtout causé par l'instinct de survie et la débrouillardise des Malgaches. Le plus dramatique est la situation des lycéens et des étudiants en fac, car l'on n'est jamais sûr de pouvoir travailler demain à cause des grèves et émeutes. (...)
Le régime d'Andry Rajoelina, pour ma part, fait exactement ce que j'attendais de lui, à savoir tout de travers. Bien sûr, il doit bien amadouer l'armée qui l'a installé au pouvoir. Au détriment du prix du carburant ou encore du prix des PPN, du riz, et surtout de la viande. Il n'est pas rare d'entendre s'écrier en entendant le prix du kilo de riz : "Mais pourquoi les gens ne se décident pas encore à descendre dans la rue ?" ou encore "Andry Rajoelina sera bientôt chassé du pouvoir comme il y est parvenu". Le Malgache est au bord de l'explosion.
  • Un "président" jamais élu, par Nirin
J'ai vécu le temps de Ratsiraka, Zafy Albert, Ravalomanana et maintenant Andry Rajoelina. Vous me pardonnez, mais je n'appellerai jamais ce dernier "président", puisque personne ne l'a élu. (...) Depuis 2009, Madagascar vit dans l'anarchie totale. le peuple s'appauvrit de jour en jour, les dahalos [voleurs de bétail] n'arrêtent pas de faire mal à nos paysans là-bas dans nos brousses, tandis que les "militaires" sont restés à Tana pour semer la répression au cas où les opposants du pouvoir oseraient sortir dans la rue pour faire entendre leur voix. Andry Rajoelina a bluffé tout le monde (ses partisans) en 2009 en disant qu'il allait délivrer les Malagasy de la dictature (s'il y en avait), qu'il allait suivre de près le prix des PPN et que tout le monde allait pouvoir acheter l'huile à 2 500 ariarys le litre, le riz à 500 ariarys le kilo et tant d'autres encore... Actuellement, rien de tout ça n'a été fait. (...)
  • Exploitation des ressources naturelles, par Vonihanta R.
Depuis février 2012, je ne vis plus à Madagascar, mais j'y vais encore régulièrement pour mes travaux de recherche. C'est encore plus dur de faire le parallèle entre ce que vivent les citoyens d'un autre pays et ce que nous, Malgaches, nous devons subir au quotidien. Déjà que le droit d'avoir notre mot à dire sur la vie politique nous a été retiré par ce coup d'Etat de mars 2009, mais depuis, on vit avec le sentiment d'impuissance au quotidien. Nos forêts se font piller pour leur bois de rose, on n'y peut rien, des contrats d'exploitation minière se concluent avec des entreprises étrangères, on l'apprend dans les médias étrangers et on n'a rien à dire. Bien sûr, le pillage de nos ressources naturelles et minières a existé bien avant cette crise politique, mais voir l'ampleur que ça a pris depuis 2009 est tout simplement révoltant.
On vit dans un pays sans lois, sans autorités : un magistrat se fait tuer par les policiers pour avoir condamné un des leurs impliqué dans des affaires de vols, les Dahalo défient et narguent les militaires... Et cette insécurité permanente : dans les rues de Tana [Antananarivo] il vaut mieux éviter de porter tout objet qui puisse attirer l'attention, rouler les vitres fermées et les portières verrouillées pour éviter de se faire agresser dans les embouteillages. On en devient paranoïaque. Quant à l'actualité politique, je suis complètement dégoûtée et je ne la suis plus, à force d'être gavée de ce simulacre politique digne d'un mauvais film de série B.

Source : http://www.lemonde.fr

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