Sunday, September 23, 2012

Les préjugés font la vie dure aux locataires immigrants

«C’est épouvantable. Je vis avec un stress constant et je pleure souvent… J’ai perdu mon travail, car je suis constamment dans la lune et je dois m’absenter trop souvent. Il faut que ça cesse ! » Ce cri du coeur, c’est celui de Nathalie Khitam Sead, qui lutte depuis un an et demi pour garder son logement dans le quartier Ahuntsic.
Comparutions au tribunal, coupure d’électricité en hiver, avis d’éviction par huissier : Mme Sead attend chaque jour avec angoisse la prochaine missive de son propriétaire qui cherche à les évincer, elle et sa fille de neuf ans, Jasmine.

« Je suis allée huit fois à la Régie [du logement] et tout s’est bien passé, assure-t-elle en déployant sur la table des relevés bancaires attestant le paiement de son loyer. La dernière fois que j’y suis allée, début juillet, il y avait 14 locataires de mon bloc, tous immigrants, qui étaient eux aussi appelés pour non-paiement de loyer. Croyez-vous vraiment qu’autant de personnes ne paient pas leur loyer ici ? », questionne, dubitative, celle qui a quitté Israël il y a trois ans pour vivre au Canada.
Mme Sead attend depuis plus d’un an d’être entendue à la Régie pour harcèlement et dommages et intérêts de la part de son propriétaire. Mais les délais sont longs. Les demandes générales comme la sienne peuvent mettre jusqu’à 24 mois à être traitées, alors que celles pour non-paiement de loyer, jugées prioritaires, sont exami-nées en deux à trois mois.
Au comité Droit au logement de Projet Genèse, un organisme ayant pour mission d’améliorer les conditions de vie des résidants des quartiers Côte-des-Neiges et Notre-Dame-de-Grâce, des cas comme celui de Nathalie Khitam Sead sont monnaie courante. « La majorité des gens qui nous consultent sont immigrants. Certains attendent leur statut de réfugiés, mais d’autres ont des diplômes et des réserves financières. Ils sont tous vulnérables, car ils ne connaissent pas leurs droits ni les standards de qualité ou les prix des loyers ici », explique Nathalie Rech, organisatrice communautaire à Projet Genèse. « Nous sommes choqués d’en-tendre parfois des immigrants dire qu’il y a des coquerelles partout dans les maisons au Canada et qu’ils n’étaient pas habitués à ça dans leur pays. Ils croisent des bestioles dans tous les logements et ils en viennent à penser que c’est la normalité ici », raconte Nathalie Rech, dont l’organisme traite 10 000 cas chaque année, en 120 langues.
Contrairement à la croyance populaire, les loyers ne sont pas meilleur marché dans les quartiers à forte proportion d’immigrants, selon elle. « Parfois, on demande des cautions de deux ou trois mois, même si c’est illégal. On a fait des recherches auprès de la Société d’hypothèque et de logement pour se rendre compte que les loyers ici sont jusqu’à 100 $ au-dessus de la moyenne de la ville », affirme Mme Rech.

Des proies faciles
Dans un autre quartier à dominance ethnoculturelle de Montréal, Brigitte (nom fictif), arrivée au Canada il y a cinq ans, cohabite avec des champignons depuis quelque temps. N’ayant jamais vu ce type de nuisance dans sa région d’origine, l’Amérique du Sud, Brigitte a demandé conseil à une amie d’origine québécoise qui lui a suggéré d’envoyer une lettre certifiée à son propriétaire, qui faisait la sourde oreille à ses demandes de réparation.
« On a vraiment tenté de me faire peur, de rejeter la faute sur moi. On me disait qu’on n’avait jamais eu ce type de problème auparavant et qu’il fallait que je reconnaisse que mon « mode de vie » ne pouvait fonctionner ici, que c’est lui qui avait causé les champignons et qu’il fallait que j’en change », raconte-t-elle, épuisée après des mois de lutte pour faire valoir ses droits auprès de son propriétaire. Si les choses ne s’arrangent pas, elle compte aller à la Régie. Pour le moment, elle compile les allégations voulant que son origine ethnique ait joué un rôle dans ses déboires.
Pour le professeur de sociologie de l’Université du Québec à Montréal (UQAM), Paul Eid, il est clair que le risque est grand pour un immigrant d’être un jour victime d’un abus de la part d’un employeur ou d’un propriétaire en raison des failles de la loi.
« Il est clair que des préjugés subsistent, et ce, peu importe le statut économique ou social de l’immigrant. Il y a une présomption de la part des propriétaires. Ils se diront, par exemple : “Eux, ils peuvent vivre là-dedans, ils ont l’habitude, ils ne vont donc pas s’en plaindre” », précise le professeur.
Exposés à des échecs répétés et à la lenteur des instances judiciaires, les immigrants ne souhaitent parfois plus se prévaloir de leurs droits, selon M. Eid. « C’est un problème systémique. Parfois, les immigrants se disent que les bons emplois ne sont pas à leur portée. Ils se rabattent alors sur des emplois à statut précaire. Leurs employeurs se disent que, de toute manière, ces employés ne trouveront pas mieux ailleurs. Ça devient donc plus facile de profiter d’eux », analyse-t-il.
Si des formations en matière de droits sont offertes aux immigrants par la Commission des normes du travail du Québec et le ministère de l’Immigration, ce sont souvent les organismes du milieu qui, avec généralement peu de moyens, se chargent de sensibiliser et d’informer les nouveaux arrivants sur leurs droits.
À Projet Genèse, on invite les arrondissements à s’engager concrètement à prévenir les problèmes dans les logements. « Nous connaissons les immeubles mal entretenus, nous en avons de longues listes et, pour y être allés souvent, les inspecteurs des arrondissements les connaissent aussi, résume Nathalie Rech du Projet Genèse. Au lieu de répondre aux plaintes des locataires et de se contenter de constater les problèmes, il faudrait instaurer un système d’inspections avec des agents qui visitent les appartements avant même de recevoir un appel. Ça désengorgerait le système judiciaire et ça profiterait à tout le monde. »

Source : http://www.ledevoir.com

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