Monday, May 7, 2012

Brésil : la discrimination positive à l'université s'étend

Des quotas raciaux seront dorénavant appliqués dans toutes les facultés publiques et non plus seulement à Brasilia.

Il y a quelques jours, la Cour suprême du Brésil avait marqué les esprits en autorisant l'interruption volontaire de grossesse pour les fœtus non viables - une brèche dans la loi anti-avortement en vigueur dans le pays. La haute juridiction vient de faire à nouveau sensation en prenant position sur un autre sujet polémique: la discrimination positive dans l'enseignement supérieur. Les dix juges ont décidé à l'unanimité que les quotas raciaux à l'université étaient constitutionnels et corrigeaient la «dette sociale de l'esclavage», que le Brésil a été un des derniers pays à abolir, en 1888.
Cet avis concerne le cas spécifique de l'Université de Brasilia (UnB), qui réserve, depuis 2004, 20% de ses places aux étudiants noirs, métis et indigènes. La mesure avait été attaquée par le parti conservateur DEM, selon lequel les quotas sont contraires au principe d'égalité et encouragent le racisme. Mais la décision vaut désormais pour les 98 universités publiques du pays.

«Les pauvres sont noirs et les Noirs sont pauvres»
Plus que l'approbation, c'est l'unanimité des dix sages qui a surpris. «C'est une gifle pour les adversaires des quotas, la preuve d'un changement culturel profond au sein de la société», se félicite Liv Sovik, professeur à l'Université fédérale de Rio de Janeiro et spécialiste des questions raciales. Les juges ont auditionné des dizaines d'experts, au cours d'un jugement retransmis en direct à la télévision.
L'historien brésilien Luiz Felipe de Alencastro, professeur à la Sorbonne, a été l'un des plus écoutés, en rappelant que le Brésil fut la plus grande nation esclavagiste des Amériques, exploitant près de la moitié des Africains déportés pendant trois siècles. D'autres experts ont souligné que les performances scolaires des étudiants entrés par quotas dans l'enseignement supérieur étaient au moins aussi bonnes que celles des autres.
«Au-delà du principe d'égalité, l'argument des opposants des quotas est celui de la tradition nationale: le fameux métissage selon lequel au Brésil, on ne se définit pas en terme racial», poursuit Liv Sovik. Une rhétorique de «fils à papa», selon Pedro Araujo Ansel, qui étudie la sociologie à l'Université de l'État de Rio de Janeiro (Uerj), pionnière dans l'introduction des quotas. «Les pauvres sont noirs et les Noirs sont pauvres ; sans quota, je n'aurais jamais eu la possibilité d'accéder à l'université», s'insurge-t-il. Issu d'une famille modeste, il a effectué tout son cursus à l'école publique où, à cause des coupures budgétaires, la qualité de l'enseignement s'est effondrée depuis les années 1970.

Lula avait reculé
Pour entrer dans une université publique - les plus courues au Brésil -, il faut passer un concours, et Pedro n'en avait pas le niveau. C'est le paradoxe brésilien: les élèves issus de l'école privée étaient les seuls à avoir accès à l'université publique. L'étudiant de 24 ans estime que les quotas sont une mesure palliative: «Il vaudrait mieux assurer un enseignement de base de qualité à tous, mais en attendant, on fait quoi des gens comme moi? On est condamné? Au moins, ça nous ouvre des portes, et on travaille dur pour récupérer le temps perdu», dit-il.
Améliorer la qualité de l'école, des collèges et lycées est d'autant plus compliqué qu'au Brésil, pays fédéral, ces niveaux d'enseignement dépendent de la municipalité ou de l'État régional. Le pouvoir central, à Brasilia, ne finance directement que l'université. La discrimination positive est donc l'outil le plus efficace pour réduire les inégalités, alors que plus de 50% des 191 millions de Brésiliens se considèrent noirs ou métis, selon le recensement de 2010.
Le gouvernement de Luiz Inacio Lula da Silva avait envisagé de faire voter une loi, avant de reculer en s'apercevant que les adversaires des quotas étaient aussi bien à droite qu'à gauche. Il a préféré tabler sur l'autonomie des universités publiques, encourageant les initiatives allant dans le sens de l'ouverture. Parallèlement, il a proposé aux universités privées - dont l'accès est un peu moins sélectif que dans le public - de mettre en place des quotas en échange d'exonérations fiscales. Le programme, intitulé ProUni, a profité à plus de 700.000 étudiants. En novembre 2009, quelque 31% des 5,9 millions d'inscrits à l'université venaient de familles à bas revenu. La proportion a doublé par rapport à 2002.

Source : http://www.lefigaro.fr

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