Sunday, September 23, 2012

Tuberculose au Nunavik - Au-delà de la dernière crise

Le village de Kangiqsualujjuaq, situé à l’embouchure de la rivière George, à l’est de la baie d’Ungava, ne compte que 874 âmes, mais de ce nombre, 89 — soit plus de 10 % de la population — ont dû se battre contre la tuberculose. Et c’est sans compter les personnes infectées mais qui ne présentent pas de symptômes.

Heureusement, personne n’est mort, les autorités de la santé publique et la communauté ayant réagi avec diligence et vigueur. Mais personne ne sait pourquoi ce village plutôt qu’un autre a été touché. « Un mauvais adon », de dire le chef du département de médecine générale du Nunavik, le Dr François Prévost.
Pour l’anthropologue Bernard Saladin d’Anglure, qui sillonne le Nord québécois depuis le milieu des années 1950, il faut, pour comprendre ces éclosions sporadiques de tuberculose dans les communautés du Nunavik, élargir la perspective. La tuberculose, note-t-il, est en résurgence partout dans le monde, y compris dans les pays industrialisés. Et les populations les plus touchées sont les plus vulnérables et les plus fragiles, dont les peuples aborigènes.
« Les populations du Nord restent des populations fragiles », dit-il, malgré une amélioration de l’accès aux services de santé et des logements plus salubres qu’au début de leur sédentarisation dans les années 1940 et 1950, années d’épidémies à répétition.
La sédentarisation a contribué à cette fragilité parce que le choix des sites des villages créés par des Blancs tenait d’abord compte de l’accès par bateau et de la présence de sources d’eau, explique-t-il. La proximité des territoires de chasse et de pêche des Inuits n’entrait pas en ligne de compte. Les camps traditionnels des Inuits, en revanche, étaient dispersés sur le territoire pour être près de leur première source de nourriture.
Mais au milieu du XXe siècle, « le caribou se faisait rare, les troupeaux étant en creux de cycle. Les Inuits avaient faim et étaient très démunis et ils ont commencé à s’approcher des postes de traite et à se construire des abris de fortune avec ce qu’ils trouvaient sur place. Les gens s’y entassaient, offrant un terrain parfait pour la propagation de la tuberculose », raconte Gérard Duhaime, sociologue et spécialiste du Nord de l’Université Laval.


Désoeuvrement

Cet éloignement de leurs territoires de chasse et de pêche a aussi rendu la pratique de ces activités plus compliquée. « Il fallait maintenant des motoneiges, des bateaux, pour se rendre là où était le gibier. Pour mener ce genre de vie que nous appelons le progrès, il est devenu indispensable d’avoir des ressources et de l’argent », raconte Bernard Saladin d’Anglure. Le désoeuvrement s’est donc installé, surtout chez les hommes n’ayant pas les moyens de jouer leur rôle traditionnel. Ont suivi chez une partie de la population des problèmes de dépendance aux drogues et à l’alcool, des substances amenées au départ par les travailleurs du Sud.
La pauvreté est une réalité incontournable dans le Nord. « Il n’est pas rare de voir un frigidaire vide », raconte le Dr Prévost. Selon Gérard Duhaime, qui étudie tout particulièrement ces questions, plus de 35 % des Inuits du Nunavik sont pauvres.
Et le prix de la nourriture est prohibitif. Il n’est pas rare que les gens doivent y consacrer plus de 60 % de leurs revenus, dit-il. Ce qui explique que plusieurs villages aient des programmes d’entraide, dont des congélateurs municipaux pour partager les fruits de la chasse.
Or, qui dit pauvreté dit bilan de santé fragile et vulnérabilité accrue aux maladies infectieuses. Le diabète, l’obésité sont endémiques, tout comme le tabagisme.
Un autre grand problème est le logement. On estime qu’il manque environ 1000 logements au Nunavik pour mettre fin au surpeuplement aigu. Le taux de naissances de la population inuk a toujours été élevé. Seulement à Kangiqsualujjuaq, la population a augmenté de 18,9 % de 2006 à 2011, selon Statistique Canada.
Mais à une certaine époque, un enfant sur deux mourait avant l’âge d’un an. Un certain équilibre démographique, quoique fragile, s’était installé, raconte le professeur Saladin d’Anglure. Les efforts pour combattre cette mortalité infantile ont été fructueux, mais personne ne semble s’être demandé ce qu’il adviendrait de tous ces enfants.
« L’explosion démographique n’est pas sans conséquence », souligne l’anthropologue. Chômage, désoeuvrement, pénurie de logements… Or, la construction de maisons, l’approvisionnement en eau potable, l’élimination des déchets et l’aménagement des villages sont beaucoup plus compliqués dans le Nord. À cause du sol, du gel, de l’isolement, de l’absence d’accès par voie terrestre…
Et il y a la pollution laissée par de nombreux sites abandonnés de prospection minière, avec leurs barils, vieilles baraques et sols contaminés. « Le Nord est devenu un dépotoir, mais comme c’est très grand, très loin et faiblement peuplé, on n’en parle pas », déplore le professeur de l’Université Laval.
En fait, il est même parfois surpris que les Inuits aient survécu à tout cela. Aux éternels sourires qui l’accueillaient à ses premiers voyages ont succédé des visages attristés de gens qui se cherchaient, mais la résilience a toujours été au rendez-vous. Aujourd’hui, dit-il, une nouvelle génération tente de motiver les jeunes, de les remettre en contact avec leur culture et leurs activités traditionnelles, avec ce tour du Nunavik en kayak et les courses de traîneaux à chiens qui mobilisent des collectivités entières.

Source :  http://www.ledevoir.com

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