Thursday, July 26, 2012

Le choléra en Haïti, maintenant : une résurgence évitable

Le séisme de janvier 2010 n'a pas été suivi d'épidémies de maladies infectieuses, sans doute grâce à l'hygiène bien connue dans cette société, pourtant soumise à de terribles conditions de vie, et grâce à l'aide internationale massive mobilisée à cette occasion. Or depuis octobre 2010, le choléra s'est installé en Haïti. Aucun cas n'y avait été observé depuis plus d'un siècle.
Cette maladie diarrhéique aigüe, extrêmement virulente mais aisément curable, provoquée par l'ingestion d'aliments ou d'eau contaminés par le bacille Vibrio Cholerae peut tuer adultes, et surtout, enfants, en seulement quelques heures, en l'absence de traitement.
A ce jour, selon l'Organisation Panaméricaine de la Santé, plus de 560 000 personnes ont été atteintes dans ce pays et plus de 7 200 en sont mortes. Deux cents nouveaux cas de choléra sont déclarés chaque jour en Haïti.
L'Organisation Non Gouvernementale (ONG) "Médecins sans frontières" (MSF), a rapporté, au printemps dernier, qu'à Port-au-Prince, le nombre de cas de choléra a quadruplé en moins d'un mois pour atteindre 1 600 nouveaux cas en avril 2012. Cette constatation avait conduit MSF, à l'approche des pluies saisonniéres, à mettre en garde contre la multiplication attendue du nombre de personnes infectées. Or ces pluies ont commencé et vont durer jusqu'en octobre. Cette ONG a rappelé que près de 200 000 cas de choléra s'étaient déclarés dans le pays au cours de la saison des pluies de 2011. Le chef de mission de MSF en Haïti, Gaëtan Drossart, déplore le manque de moyens mis en oeuvre pour prévenir la recrudescence des cas de choléra en Haïti en 2012: "Trop peu a été fait dans le domaine de l'eau et de l'assainissement pour croire que cela ne va pas recommencer en 2012". La rareté d'initiatives concrètes et la carence de ressources concernent non seulement la prévention de la maladie, mais aussi le traitement des malades.

D'OÙ VIENT CETTE ÉPIDÉMIE DE CHOLÉRA ?
Le rapport incontestable du professeur français Renaud Piarroux, publié dès les lendemains du premier diagnostic, à Meille - petit village situé en aval du camp des Casques Bleus népalais, sur le fleuve Artibonite - avait mis en évidence que le choléra avait été introduit en Haiti par ces soldats de la Mission des Nations Unies pour la Stabilisation en Haïti (MINUSTAH), créée par la résolution 1542 du 30 avril 2004 et renouvelée régulièrement tous les six mois jusqu'à présent.
Ce rapport avait indiqué que la contamination initiale, massive et étendue, - inocula dépassant le million de Vibrio Cholerae, et probablement bien davantage - ne peut avoir été provoquée que par le déversement en une seule fois dans le fleuve d'une quantité phénoménale de matières fécales issues d'un grand nombre de porteurs de ce microbe. Ce qui implique une collectivité. Or, il a été prouvé que des tuyaux avaient été récemment installés pour évacuer dans le fleuve les eaux usées de ce camp onusien.
En juin 2011, les résultats d'une autre étude menée par le Centre américain de contrôle et de prévention des maladies - la fameuse "CDC" d'Atlanta - avaient confirmé ce constat. L'Organisation des Nations Unies (ONU) avait publié en mai 2011 les résultats d'une enquête sur l'origine du choléra en Haïti, dirigée par un panel indépendant d'experts internationaux (un Mexicain du "Centre international pour la recherche sur les maladies diarrhéiques", basée au Bengladesh, un enseignant à l'Université américaine de Harvard, un chercheur de "l'Institut national du choléra et des maladies entériques" de l'Inde et un spécialiste péruvien).
Cette enquête avait conclu que : "L'épidémie du choléra est provoquée par la contamination du fleuve Artibonite par une souche pathogène de type d'Asie du Sud, des excréments humains en provenance du camp de Casques Bleus népalais ayant pu se disséminer dans cette rivière (...) Les conditions sanitaires du camp de Mirebalais de la MINUSTAH (où se trouvaient ces soldats népalais) n'étaient pas suffisantes pour empêcher la contamination par des excréments humains (...) L'analyse des résultats épidémiologiques et des gènes indique que les souches isolées en Haïti et au Népal sont parfaitement identiques".
Dans un communiqué, le secrétaire général de l'ONU, Ban Khi-Moon, avait indiqué il y a plus d'un an : "j'ai l'intention de mettre sur pied un groupe de travail au sein de l'ONU afin d'étudier les conclusions et les recommandations des experts internationaux indépendants". Louable intention.

HAÏTI ATTEND ENCORE
Une action judiciaire est en cours. Les avocats des victimes ont demandé à l'ONU cent mille dollars américains de compensation pour chaque décès lié au choléra en Haïti, et cinquante mille dollars pour chaque personne infectée. Les observateurs ont espéré en vain que l'ONU, sans attendre les décisions judiciaires, manifeste son sens des responsabilités, son respect de la santé des populations et de la vie humaine, non seulement en versant des indemnités aux familles concernées, mais aussi en créant un fonds d'indemnisation national dont les ressources auraient permis la mise en place d'un programme efficace de prévention et de soin.
L'insuffisance choquante de mesures de prévention et de soins depuis le début de l'épidémie est liée surtout à la faiblesse des moyens financiers du pays. Elle devrait, au moment où se produit la recrudescence attendue et tant redoutée, entraîner l'indignation générale, surtout chez les Haïtiens, en particulier ceux de la diaspora, avec, peut-être, des manifestations aussi importantes que possible dans les grandes villes du monde, des démarches de "lobbying", des interventions auprès des médias et de l'opinion publique, pour dire, voire pour crier, que l'indemnisation des victimes du préjudice et l'action de réparation judiciaire, envers Haïti, légale et légitime, menée par l'ONU - dont faisaient partie les Casques Bleus népalais - devraient permettre, doivent permettre, le financement d'une lutte efficace contre l'épidémie, tant pour la prévention, que pour le soin. Mais pas seulement les Haïtiens. Cette désinvolture, ce déni de justice, ce manque crucial d'égalité et de fraternité, si lourds de conséquences, devraient susciter les mêmes élans de solidarité que ceux constatés au lendemain du tremblement de terre du 12 janvier 2010. Car les catastrophes d'origine humaine doivent entraîner au moins le même souci des victimes que les catastrophes naturelles.
Il s'agit moins, en l'occurence, d'action humanitaire ou d'aide internationale que de justice et de respect des droits humains fondamentaux.

Source : http://www.lemonde.fr

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