Wednesday, June 13, 2012

Trois ONG mises à la porte du premier salon mondial de l'armement

L'Accréditation des Dix membres des ONG Amnesty International, Oxfam France et CCFD, pour entrer au premier salon mondial de l'armement a été refusée.  Ils souhaitaient profiter du salon pour interpeller les médias, et ainsi, l'opinion publique, sur des achats et ventes d'armes ayant pu mener à une violation du droit international.

Ils étaient là depuis 11 heures. Dix membres des ONG Amnesty International, Oxfam France et CCFD-Terre solidaire, attendant le public près de la station de RER, à l'entrée du parc des expositions de Villepinte, lundi 11 juin. A quelques mètres d'eux, Eurosatory, salon de défense et de sécurité terrestre, et premier salon de l'armement au monde. D'ordinaire, ces organisations assistent à cet événement, organisé tous les deux ans. Mais cette année, impossible pour elles d'approcher l'entrée : accréditation refusée.
Il y a quelques jours, ces trois associations, parties prenantes de la campagne internationale "Contrôlez les armes", ont appris que leurs demandes d'entrées au salon étaient refusées, sans plus d'explication de la part du Groupement des industries françaises de défense terrestre (Gicat), l'un des principaux organisateurs du salon. "C'est bien la première fois qu'on nous refuse l'entrée. Le bruit a circulé que nous, les ONG, préparions une action au salon", regrette Pierre Motin, chargé des relations médias chez Oxfam France.
Engagées pour une régularisation internationale du commerce des armes (PDF), ces organisations ne le cachent pas : elles souhaitaient profiter du salon pour interpeller les médias, et ainsi, l'opinion publique, sur des achats et ventes d'armes ayant pu mener à une violation du droit international. "Nous voulions organiser une contre-visite, présenter, au sein du salon, les transferts d'armes qui ont eu des conséquences négatives sur des populations civiles", explique Pierre Motin.

"PAS UN COMMERCE COMME LES AUTRES"
En solution de repli, les trois associations étaient prêtes, dossier à la main, à plaider leur cause auprès des visiteurs lundi matin. Elles avaient pris soin de lister sur un document l'ensemble des cas litigieux de livraison d'armes, dans lesquels des exposants étaient engagés. Et deleur emplacement sur le plan du salon. Tout particulièrement visés, les fournisseurs d'armes en Syrie, au rang desquels se trouvent l'italien Selex Galileo, et l'entreprise russe Rosoboronexport.
Amnesty International, Oxfam France et CCFD-Terre solidaire s'indignent d'une telle présence au salon. "Nous venons dire aux entreprises, à l'opinion publique et aux gouvernements que le commerce des armes n'est pas un commerce comme les autres", insiste Zobel Behalal, chargé du plaidoyer "paix et conflits" à CCFD-Terre solidaire. "Ici sont exposées des armes utilisées de manière irresponsable à travers le monde. Pourquoi une telle situation est-elle possible ? Car il n'y a pas de régulation efficace de ce commerce", affirme-t-il.
C'était là tout le sens de leur action : dans trois semaines, du 2 au 27 juillet, se tiendra à l'ONU une conférence pour l'adoption d'un traité international sur le commerce des armes (TCA). C'est une première. "Actuellement, aucun instrument ne régule la vente d'armes dans le monde", dénonce Aymeric Elluin, chargé de campagne "armes et impunité" à Amnesty International. "La plupart des Etats exposant ici, au salon, seront présents lors de cette conférence internationale. Il faut maintenir une pression sur eux." "Eux", ce sont les Etats-Unis, le Royaume-Uni, la Chine, la Russie. Mais aussi la France, quatrième exportateur d'armes au monde.
"La France est membre permanent au conseil de sécurité. Nous pensons qu'elle a un rôle fondamental à jouer pour un commerce des armes enfin régulé", revendique Nicolas Vercken, d'Oxfam France. "La pression politique sur certains Etats sera d'autant plus forte si d'autres pays savent quels ont été les transferts réalisés", explique-t-il. Quelles armes ont été vendues, à quel prix, en quelle quantité, et à destination de qui. Les organisations demandent des mesures de transparence fortes dans le commerce des armes. La France, selon elles, peut jouer un rôle clé dans ce plaidoyer.

"UNE PERTURBATION POTENTIELLE"
Mais lundi vers midi, Jean-Albert Epitalon, du Gicat, et Bertrand Maupoume, directeur de la sécurité du salon, sont venus rappeler aux trois organisations que le salon Eurosatory n'était ni l'endroit ni le moment propice à ce genre de discussions. "Il est dans la logique du ministère d'avoir un salon réussi. En face de vous, il y a la position de l'Etat, qui a eu vent d'actions de votre part, et qui préfère ne pas prendre de risques", a justifié Jean-Albert Epitalon, du Gicat, auprès des trois responsables associatifs. "Les industriels veulent bien discuter, mais pas pendant le salon." "On gêne le commerce, donc ?", interrogent les ONG. "Oui", rétorque, sans ambages, l'organisateur.
"Vous n'êtes pas perçu comme une menace, mais comme une perturbation potentielle", a expliqué à son tour Bertrand Maupoumé. "Nous avons des clients à qui l'on doit garantir la sécurité !" Face aux organisations, les deux hommes ont assuré que le ministère et les entreprises françaises étaient prêts à discuter du traité sur le commerce des armes et prenaient la mesure de cet événement. Ils ont promis une prochaine discussion entre ONG et industriels, avant le lancement de la conférence internationale à l'ONU. "Mais nous avons toujours la crainte que le salon serve de caisse de résonance aux ONG, à trois semaines d'un tel débat", reconnaissait en aparté Jean-Albert Epitalon. "Ces messieurs seraient rentrés, ils auraient posé des questions aux Russes. Ces derniers auraient été extrêmement remontés contre le gouvernement et les organisateurs du salon !"
Après cette entrevue, Nicolas Vercken, d'Oxfam, restait perplexe quant à la tenue d'éventuelles négociations au cours des prochaines semaines. "Quand on leur a posé la question 'Que pensez-vous de la présence de Rosobornexport sur le salon, alors qu'il arme la Syrie ?', nous n'avons pas eu de réponse de leur part, regrette-t-il. Il s'agit bien d'empêcher les ONG d'observer la façon dont se fait le contrôle du commerce des armes." Pour preuve, "depuis que nous sommes arrivés, la sécurité nous fait reculer de plus en plus", souligne un membre de la petite délégation. Aymeric Elluin, d'Amnesty International, considère ce refus de la part des organisateurs comme un "signal très négatif" à l'encontre de la société civile, si près d'une date clé dans les négociations.
"Potentiellement, nous pouvons avoir la plus grande avancée de droit international depuis la Cour pénale internationale, affirme Nicolas Vercken, au sujet de la conférence de l'ONU. Pour les populations civiles au cœur des conflits, cela peut vraiment être un outil de protection majeur." Mais les négociations qui auront lieu à New York le mois prochain s'annoncent serrées et difficiles. Les trois ONG s'attendent à ce que les pays et entreprises engagés dans le commerce des armes campent sur leurs positions et affichent leurs résistances quant à la signature d'un traité. Les organisations, elles, veulent un traité fort, sinon rien.

Source : http://www.lemonde.fr

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