Monday, March 26, 2012

La mort d'un jeune Noir traumatise l'Amérique

La police n'a pas poursuivi le meurtrier de Trayvon Martin, abattu le 26 février dernier.

La soirée s'annonce banale quand Trayvon Martin, un adolescent noir à la bouille ronde qui fait plus jeune que ses 17 ans, sort de chez lui ce 26 février pour acheter une bouteille de thé glacé et des bonbons à l'épicerie du coin. Ce garçon sans histoire, qui travaille bien à l'école et adore le sport, compte ensuite rentrer chez lui pour regarder l'un des matchs de la coupe de basket (NBA), comme il vient de le dire au téléphone à sa petite copine. Mais tandis qu'il marche dans le lotissement de Twin Lakes, communauté clôturée de la ville de Sanford en Floride, où il habite avec ses parents, la capuche de son sweat-shirt rabattue sur la tête parce qu'il s'est mis à pleuvoir, Trayvon remarque qu'un homme le suit dans un pick-up.
Ce dernier, un certain George Zimmerman, 28 ans, fils d'un militaire blanc et d'une Péruvienne, s'est autoproclamé responsable de la sécurité dans ce lotissement qui a connu des cambriolages récents. Sa fibre policière est manifeste: en 14 mois, il a téléphoné 46 fois aux urgences de la police, le 911, pour signaler des fenêtres ouvertes et des individus «suspects». Ce 26 février, il a ainsi appelé à propos de Trayvon, parlant «de quelque chose qui cloche» puis ajoutant que «ces salauds finissent toujours par s'en sortir». «Vous n'avez pas à vous occuper de ça», lui répond son interlocuteur du 911. Mais Zimmerman poursuit sa «filature». «Un type est en train de me suivre», confie à 7 h 12 Trayvon Martin à sa petite amie. Elle lui dit de courir mais il s'y refuse. «Pourquoi me suivez-vous?», l'entend-elle demander. «Qu'est-ce que vous faites dans ce quartier?», répond une voix d'homme. Puis suivent des cris et, à 7 h 16, la ligne se coupe.
La jeune fille rappelle, affolée, mais le téléphone sonne dans le vide. Quand la police arrive sur les lieux, vers 7 h 17, elle trouve Trayvon mort sur le trottoir, et George Zimmerman à ses côtés. Il affirme avoir tiré en état de légitime défense en accord avec la loi «Stand your ground», («Défendez-vous»), votée en 2005, qui s'étend aux cas de violation de domicile. Prenant son témoignage pour argent comptant, les policiers n'arrêtent pas Zimmerman et ne procèdent à aucun test le concernant. Ils le laissent repartir libre avec son pistolet. Et pratiquent sur-le-champ des tests visant à déceler de la drogue ou de l'alcool sur le corps du jeune garçon abattu. Après trois semaines de sourde colère, la tragédie a enflammé ces derniers jours la Floride puis l'Amérique, suscitant des manifestations de milliers de personnes arborant des sweat-shirts à capuche pour réclamer «justice pour Trayvon». Un million de signatures ont été rassemblées pour exiger l'arrestation du meurtrier présumé et le chef de la police locale, Bill Lee, a dû démissionner pour apaiser la colère des communautés noires, qui dénoncent le parti pris de l'enquête. Le ministère américain de la Justice, le procureur du district et le FBI ont ouvert une enquête séparée. Un grand jury doit se réunir le 10 avril pour déterminer si les charges sont suffisantes pour poursuivre Zimmerman.

Plaie béante

Vendredi, le président Obama, d'ordinaire réticent à s'exprimer sur les affaires à connotation raciale, est intervenu dans le débat. «Si j'avais un fils, il ressemblerait à Trayvon», a-t-il dit, ému, ajoutant «ne pouvoir imaginer ce que traversent ses parents». «Il est impératif que nous enquêtions sur tous les aspects de cette affaire», a poursuivi le président, appelant «à un examen de conscience pour comprendre comment une chose pareille peut se produire». «Cela veut dire examiner les lois et le contexte», a-t-il précisé. Cette allusion au «contexte» renvoie l'Amérique à ses démons racistes, sujet qui divise toujours la société comme une plaie béante, malgré les avancées des dernières décennies. Dans les manifestations qui se déroulent, des Afro-Américains évoquent le souvenir des temps, pas si lointains, où le lynchage des hommes noirs était toléré dans les États du Sud et où toute immixtion des policiers fédéraux était regardée comme une atteinte intolérable. Le calvaire d'Emmett Till, gamin noir de 14 ans tiré de son lit et abattu de sang-froid par deux locaux qui n'avaient pas apprécié qu'il siffle une femme blanche, en 1955 dans le Mississippi, est dans toutes les têtes. À l'époque, les deux assassins avaient été mis hors de cause. «Il serait ridicule de dire que rien n'a changé», note l'éditorialiste Eugene Robinson dans un éditorial du Washington Post. Le Mississippi a maintenant plus d'élus noirs que blancs, une famille noire habite la Maison-Blanche… Mais Robinson n'en qualifie pas moins le concept d'Amérique postraciale de mirage. «Si Trayvon Martin était blanc, aurait-il été abattu? Et si George Zimmerman était noir, aurait-il été arrêté?», s'interroge la journaliste américaine Lara Marlowe dans le Irish Times.
L'autre sujet de débat concerne évidemment la loi «Défendez-vous», un texte très controversé qui donne une effrayante latitude à tout individu armé pour tirer sur un autre s'il se «sent en danger». Ce texte, adopté en 2005 sous la pression du puissant lobby des armes, en appelle à la conviction, solidement ancrée en Amérique, selon laquelle le citoyen doit pouvoir se protéger lui-même. Le nombre d'homicides ainsi «justifiés» aurait plus que triplé en Floride, passant de 30 à 100 depuis le vote de cette loi. Ses détracteurs parlent d'un droit à «tirer d'abord et poser des questions après».

Source : http://www.lefigaro.fr
 

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