Saturday, February 18, 2012

Le printemps arabe, un an plus tard - Une révolution multiforme et inachevée

On est parfois tenté de voir, dans le printemps arabe, soit la démocratisation hyperrapide d'une partie du monde, soit son basculement dans un islam politique réactionnaire et inquiétant.

En réunissant une impressionnante brochette de spécialistes des sciences sociales défendant des points de vue multiples et nuancés, le colloque qui s'est déroulé jeudi à l'UQAM a mis à mal ces raccourcis.

On s'entend évidemment sur le fait que les événements ayant secoué la région concernée ont créé une onde de choc dans les chancelleries occidentales, qu'ils y ont parfois semé l'embarras et qu'ils ont fait ressortir la difficulté de concilier les intérêts et les valeurs. Mais encore?

Après le 11-Septembre, on a observé un lien étroit entre les priorités de la politique américaine et l'orientation des études universitaires menées aux États-Unis, ce qui a laissé plusieurs angles morts, a fait remarquer Marie-Joelle Zahar, professeure de science politique à l'Université de Montréal. Résultat: les États-Unis ont semblé pris de court par les événements. L'universitaire a souligné la nécessité d'études anthropologiques et sociales pour comprendre ce qui se passe dans la société civile arabe.

Si plusieurs auteurs ont parlé de l'impossibilité d'implanter la démocratie dans le monde arabe faute d'une société civile dynamique, d'autres considèrent au contraire qu'il y existe bel et bien une société civile et une opposition, dont les courants ont travaillé ensemble sur des enjeux ponctuels, tels que la résistance aux politiques d'austérité imposées au cours des années 1990, a rappelé Diane Éthier, également professeure de science politique à l'Université de Montréal. Depuis le début des années 2000, les coalitions agissent de façon plus stratégique, obligeant les coalisés à devenir plus modérés, a ajouté Mme Éthier.

En Tunisie, la société civile existait, mais était instrumentalisée par le pouvoir. Sous Ben Ali elle comptait pas moins de 9000 ONG, mais la quasi-totalité était contrôlée par le régime, estime Vincent Geisser, chercheur à l'Institut français du Proche-Orient. L'opposition grondait, mais de façon souterraine: dans l'humour populaire, dans les slogans scandés dans les stades de foot. Le consul de Tunisie, qui se trouvait dans l'assistance, a pour sa part rappelé que son pays a changé quatre fois de religion au cours des deux derniers millénaires.

Pour le politologue Sami Aoun, de l'Université de Sherbrooke, l'instrumentalisation de la religion a mené à une impasse et se retourne contre ceux qui s'y adonnent parce qu'elle attise les rivalités entre les différents courants. «Les politiciens feraient mieux de s'inspirer de quelques grands principes de l'islam et éviter la fusion du religieux et du politique», a affirmé M. Aoun, ajoutant que dans les pays où les islamistes ont exercé le pouvoir, comme le Soudan, l'échec a été retentissant.

Rachad Antonius, professeur de sociologie à l'UQAM, considère que le contexte du monde arabe est encore colonial et que la société civile arabe s'en ressent. Selon lui, «l'évolution de la société civile n'explique pas tous les événements, il faut tenir compte des facteurs internationaux». Ainsi, en Égypte, l'islamisme s'est imposé grâce aux pétrodollars saoudiens. Dans ce pays, un clientélisme vertical rend difficiles les solidarités entre égaux, mais les «réseaux syndicaux» se sont quand même renforcés au cours des dix dernières années, a ajouté M. Antonius. Toutefois, dans ce pays stratégique où les États-Unis veulent garder un lien étroit avec l'armée, il prédit que «la révolution prendra dix ans, pas dix mois.»

Charles Philippe David, titulaire de la Chaire Raoul-Dandurand de l'UQAM, a fait remarquer que le rôle des États-Unis est en déclin dans le monde arabe. «L'ère de la grande puissance qui va au-devant des événements est révolue.» Les États-Unis seraient de moins en moins engagés au Moyen-Orient et se contenteraient d'y jouer un rôle d'observateur. M. David a cité à cet effet une étude de la revue Foreign Affairs montrant que seuls 30 % des intellectuels sondés trouvent que le Moyen-Orient demeure une région stratégique, et seulement 8 % considèrent qu'il le sera encore dans vingt ans.

Miloud Chennoufi, professeur au Collège des Forces canadiennes de Toronto, a souligné le rôle surprenant joué par le Qatar, un rôle remarqué surtout à l'occasion des crises libyenne et syrienne. Il a rappelé que ce petit pays riche en gaz naturel avait déjà exercé une influence qui se voulait modératrice auprès des talibans quand ils étaient au pouvoir en Afghanistan. L'Iran a d'abord vu le printemps arabe sous un jour favorable parce qu'il faisait oublier son programme nucléaire, qu'il provoquait une hausse des cours du pétrole et qu'il a fait disparaître des ennemis tels que Moubarak et Saleh, estime Pierre Pashlavi, professeur à la même institution. Téhéran a parlé de «réveil islamique», mais a vite réalisé que ce printemps arabe le privait d'un rôle joué depuis trente ans en faisant naître de nouveaux «défenseurs de la rue arabe contre l'impérialisme».

Source : http://www.ledevoir.com

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